Chère Isabel,
Je vous écris du nord de New York, dans un petit village au pied de montagnes. Au bout de notre rue, Store road, l’échoppe qui lui a donné son nom est toujours là. En temps normal, les clients y achètent des cigarettes, des tickets de loto, de la bière, du soda. La boutique jouxte un trailer park.
Le reste de ma famille – ma famille historique – est à Paris. Mon père est hospitalisé à domicile depuis un an. Il aura bientôt quatre-vingt-onze ans. Il s’étiole doucement. Quand j’arrive à lui parler au téléphone, la discussion tourne court : il ne se souvient pas précisément où je vis, il a une conscience floue de la pandémie qui sévit sur le monde, il aimerait que je vienne le voir. Moi aussi, papa chéri, j’ai hâte de te voir. En ce moment c’est compliqué. Je vis à New York, il n’y a plus de vols transatlantiques, tu sais ? Non, pas vraiment. Est-ce que j’ai des enfants ? Oui, papa chéri. Ma grande a fêté ses huit ans avant-hier. Huit ans ! Ça alors. C’est formidable. Et tu vas venir me voir bientôt ma chérie adorée ? Oui, papa chéri. Dès que je peux. Tu sais quand ? La seule perspective qui puisse encore le divertir de son déclin lui a été ravie. J’essaie de parler d’autre chose, mais que dire. Il n’y a rien à dire.
Mon père m’a souvent raconté que son propre père ne s’était jamais pardonné de ne pas avoir pu enterrer sa mère. L’aïeule était restée à Paris, en zone occupée. Eux étaient réfugiés en zone libre. Ils étaient Juifs. Il était impensable de risquer le voyage.
Dans Guerre et Paix, entre deux chapitres du front, Tolstoï écrit (je me souviens avoir souligné la phrase dans mon exemplaire, resté sur mes étagères à Brooklyn) : Pendant ce temps la vie quotidienne…
Les fenêtres de notre bicoque donnent sur une pelouse et quelques arbres. Je trouve difficile de prendre de la hauteur ces jours-ci, d’envisager l’avenir. Les États unis se précipitent vers une hécatombe certaine. Je suis triste et j’ai peur pour les plus vulnérables, pour les anciens, pour ceux dont la précarité s’est soudain décuplée de manière inimaginable. Quand les actualités ne se résumeront plus au nombre de morts, quand il sera de nouveau permis de célébrer les nôtres, peut-être la littérature saura en rendre compte. Pour lors, que dire. Il n’y a rien à dire.
Prenez bien soin de vous et de vos proches.
Violaine
Liebe Isabel,
ich schreibe dir aus dem Norden New Yorks, aus einem kleinen Dorf am Fuße der Berge. Am Ende der Store road steht immer noch der Kiosk, dem die Straße ihren Namen verdankt. Zu normalen Zeiten kaufen die Leute dort Zigaretten, Lottoscheine, Bier, Wasser. Der Kiosk grenzt an einen trailer park.
Der Rest der Familie — meiner Familie — ist in Paris. Mein Vater ist seit einem Jahr ein Pflegefall und wird zu Hause betreut. Er wird bald 91, er schwindet langsam dahin. Die Telefonate mit ihm sind einsilbig: er weiß nicht, wo ich lebe, die herrschende Pandemie bekommt er nur vage mit, er möchte, dass ich ihn besuche. Auch ich, liebster Papa, möchte dich unbedingt sehen. Im Moment ist das schwierig. Ich lebe in New York, und weißt du, gerade gibt es keine transatlantischen Flüge. Nein, er weiß es nicht. Ob ich Kinder habe? Ja, liebster Papa. Meine Große wurde vorgestern acht. Acht Jahre! Unglaublich. Das ist wunderbar. Und Du kannst nicht bald kommen meine geliebte Tochter? Ja, liebster Papa. Sobald ich kann. Wann ist das? Er wird der einzigen Aussicht, die ihn von seinem Zerfall ablenken könnte, beraubt. Ich versuche, von etwas anderem zu reden, aber von was? Es gibt nichts zu sagen.
Mein Vater hat mir oft erzählt, dass sein eigener Vater sich nie verziehen hat, seine Mutter nicht beerdigt zu haben. Sie war in Paris geblieben, in der besetzten Zone. Der andere Teil der Familie war in die unbesetzte Zone geflohen. Sie waren Juden. Undenkbar, die Reise zu riskieren.
In Krieg und Frieden schreibt Tolstoi zwischen zwei Kapiteln, die an der Front spielen, den folgenden Satz (ich habe diesen Satz in der Ausgabe unterstrichen, die ich in meinem Regal in Brooklyn habe stehen lassen): Das alltägliche Leben in dieser Zeit…..
Aus dem Fenster unserer Notunterkunft sieht man auf einen Rasen und ein paar Bäume. Momentan bin ich nicht wirklich in der Lage, an die Zukunft zu denken. Die USA sehen einem Massensterben entgegen, das ist sicher. Ich habe Angst um die Schwächsten, die Alten, um die, deren Armut plötzlich ins Unermessliche wächst. All das macht mich traurig. Wenn sich die Nachrichten nicht mehr bloß auf die Zahl der Toten beschränken werden, wenn es wieder erlaubt sein wird, die Unseren zu betrauern, dann wird vielleicht die Literatur von ihnen erzählen. Aber bis dahin fehlen die Worte. Es gibt nichts zu sagen.
Pass gut auf dich und die Deinen auf,
Violaine